jeudi 3 novembre 2011

Roman du 2ème voyage (extraits)


Aux pères que j’ai cherchés, à ceux que j’ai trouvés.

Chapitre 1 :


On ne naît pas féministe, on le devient ; et cela touche aussi les garçons.
Mon fils rentre de l’école, les poings crispés, les gouttes de la révolte bouillonnant aux coins des yeux :
« La maîtresse, elle aime pas les femmes !
  • Ah bon ?
  • Oui, elle fait apprendre Au nom du père, du fils et du Saint Esprit. Et la maman ? Il y a la mère, au lieu du Saint Esprit.
  • Non, c’est ça.
  • Ah ? Mais il devrait y avoir la mère. Ca devrait être Au nom du père, du fils, et de la mère !
  • Tu as peut-être raison. Mais c’est comme ça.
  • C’est pas juste !
  • C’EST PAS JUSTE !
  • Oui, mais il y a une prière juste pour les mamans.
  • C’est quoi ?
  • C’est le Je vous salue Marie, Je vous salue Marie, mère de Dieu.
  • Mais la maîtresse, elle ne la connaît pas. La maîtresse, elle aime pas les mamans.
  • Mais si, elle la connaît.
  • Oui, mais elle la fait pas apprendre, parce qu’elle aime pas les femmes.
  • Elle le fera peut-être après. »

Le lendemain, nous allons voir la maîtresse, qui récite volontiers la prière à la Vierge ; et qui promet qu’elle la fera apprendre, que c’était prévu. La révolte de mon fils s’apaise, bien qu’il reste vigilant. Laissons-lui le soin d’enterrer ou de labourer ses colères ; de devenir, s’il le souhaite, l’homme qui défendra les mères.
Ici, c’est le récit d’un autre enfant et d’une autre colère : le nom de mon père, je l’ai oublié. Les religieuses l’ont supprimé, les mêmes qui m’ont enseigné Au Nom du père.
Mais ne crachons pas sur l’hostie.
« Enfant du soleil, ton destin est sans pareil , l’aventure t’appelle. N’attends pas et cours vers elle. Et le jour la nuit, avec tes deux meilleurs amis, à bord du grand condor, tu recherches les cités d’or. »
Moi, j’étais bien obligée d’attendre, car un billet d’avion, c’est plus cher qu’un condor. Mais l’aventure m’appelait. J’étais exaltée par mon destin sans pareil et un abîme se creusait entre moi et ceux qui s’apitoyaient sur cette douloureuse tentative de reconstruction d’une enfant du Tiers-Monde. Etre solaire dans un pays de brumes et de pluies, j’irradiais d’un incompréhensible bonheur.
Certains avaient tétés la vie au sein de leur mère, grand-mère ou nourrice ; d’autres aux pis des vaches, chèvres, juments ou chamelles ; d’autres encore aux mamelles des firmes industrielles. Tous avaient été biberonnés à la soupe audiovisuelle des mangas. Tous, enfants de la terre et enfants du cataclysme, avaient été élevés dans l’idée qu’il était impossible de vivre sans connaître ses origines. Aussi, ces demandes n’apparaissaient plus comme le fruit de revendications d’ingrats corrompus par le discours des immigrés, mais comme le résultat direct d’une éducation commune. Le Terrien ouvrit.
« Allô, maman, c’est Marie.
–Ah, Marie ! J’suis heureuse de t’entendre, ça va ?
  • Oh oui, ça va. Ca va très bien, même. Oh, maman, quel grand bonheur ; quel grand bonheur pour moi. Mon frère est mon frère, et je ne le savais pas.
  • Oui, ton frère est ton frère. Et il restera toujours. Moi, je suis ta mère. Excuse-moi si je t’ai blessée. Mais j’avais tellement peur, quand tu as dit que tu irais là-bas. Je serai toujours ta mère, malgré mes peurs et ma colère. Je suis ta mère, quoi qu’il arrive. J’te passe ton père. Il te dira la même chose. On t’aime.
  • Ca va, ma p’tite fille ?
  • Oui, ça va, très bien. Tu peux pas savoir comme je suis heureuse. Oh papa, quel grand bonheur, quel grand bonheur pour moi ; mon frère est mon frère, et il ne le sait pas !
  • Bien sûr qu’il le sait ! Il est plus que ton frère adoptif. Tu es sa petite sœur d’infortune. Vous venez du même orphelinat. Ta mère et moi, on voulait ça. Le moins de ruptures possible. Tu sais, ça ne l’embête pas que tu partes. Moi non plus, maintenant qu’on est sûrs que tu reviendras.
  • J’te parle pas d’ça. Passe-moi mon frère.
  • Marie, je t’aime. Je suis ton frère. J’ai pas voulu venir. J’ai pas envie, moi. Mais je respecte ton choix. Je t’ai toujours soutenue, même contre eux, tu t’en souviens ? Je serai toujours là pour toi, car tu es ma petite sœur.
  • Oh quel grand bonheur, quel grand bonheur pour moi. Mon frère, tu es mon frère, et on ne le savait pas.
  • C’est vrai, on ne se ressemble pas. Il n’y a que les étrangers pour prétendre le contraire. Mais on est une famille. Le sang n’a pas de sens. Bisous, soeurette, et prends soin de toi. »

Il y a des vérités qui ne se comprennent pas au téléphone. Je les laissais à leur inquiétude tandis que je nageais dans la plénitude.

« Nous sommes désolés, mademoiselle. Mais votre père vous a abandonnée. Notre fillette est décédée. Son père a signé un document pour qu’une femme-docteur puisse l’emmener. Elle était née avec une malformation cardiaque. Mais elle est morte là-bas. Cette dame n’a rien pu faire. Ce pauvre homme ! Il n’a même pas accompli les rites funéraires de sa fille. Si saviez comme il s’en veut ! Mais vous, maintenant, vous avez une famille…
  • Non !
  • Comment, non ?
  • Cette dame, c’est ma mère ! Et je ne suis pas morte, enfin, pas physiquement. Sans elle, je serai morte en Inde, à cause d’un problème au cœur …
  • Ils se sont toujours opposés à un voyage. Ils ont fini par accepter, mais quand j’étais partie, que je leur ai téléphoné.
  • Bon, donnez-nous une photo de vous. Repassez lundi. Si c’est vous, il sera là. »


Qui avait fait la déclaration de décès ? Des personnes qui abusent de leur pouvoir pour s’approprier un enfant, ne sont pas des parents, mais des ravisseurs. Je n’avais toujours pas de réponse concernant mon père, j’avais des doutes sur ma mère, et je me demandais si j’étais atteinte du syndrome de Stockholm. J’avais un grave problème au cœur, et personne pour m’opérer.

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